CA La Réunion, 4 mai 2023, n°22/00884 ; CA Amiens, 15 juin 2023, n°22/00474
Dans deux arrêts du 4 mai 2023 et du 15 juin 2023, les cours d’appel de La Réunion et d’Amiens se prononcent sur la question de l’application ou non de la présomption d’imputabilité d’un accident au travail posée par l’article L 1222-9 du Code du travail en matière de télétravail.
Dans ces deux affaires, l’organisme de Sécurité sociale a refusé de prendre en charge l’accident dont les télétravailleurs ont été victimes, et la commission de recours amiable a rejeté leur recours contre cette décision. Les salariés ont alors saisi le tribunal judiciaire afin que leur accident soit reconnu au titre de la législation professionnelle.
Les cours d’appel ont infirmé les décisions des premiers juges ayant fait droit à leur demande. Après avoir écarté la présomption légale d’imputabilité, dans la mesure où l’accident est survenu soit hors du lieu de travail, soit hors du temps de travail, elles ont décidé que la preuve du lien de l’accident avec le travail n’était pas rapportée.
Dans la première affaire, jugée par la cour d’appel de La Réunion, un salarié télétravaillait à domicile lorsqu’il a entendu un bruit de choc à l’extérieur de celui-ci et que sa connexion internet s’est interrompue. Il s’est alors rendu sur la voie publique pour voir ce qu’il se passait. Alors qu’il discutait avec le chauffeur du camion qui venait de heurter un poteau téléphonique, un second véhicule a de nouveau tiré sur les câbles distendus, faisant tomber le poteau sur le salarié.
Selon celui-ci, l’accident dont il a été victime avait bien un lien avec son travail. Il expliquait en effet être sorti de son domicile afin de comprendre l’origine de la panne informatique et de renseigner l’opérateur téléphonique pour permettre un rétablissement de la connexion internet et la reprise de son activité. Dès lors, il estimait être sorti de son domicile pour les besoins de son activité professionnelle, d’autant qu’il résultait de ses fonctions de cadre d’accompagner les salariés dans leurs difficultés de nature informatique et que l’accident s’était déroulé sur le lieu du travail et dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail.
La cour d’appel considère toutefois qu’en sortant de son domicile, alors qu’il exerçait ses missions dans le cadre du télétravail, le salarié avait interrompu son travail afin d’aller se renseigner sur l’origine du bruit et de la panne informatique, de sorte qu’il avait cessé sa mission pour un motif personnel, aucune obligation ne lui ayant été faite par son employeur de trouver l’origine de la panne ou de renseigner utilement l’opérateur téléphonique. En l’absence de survenance du fait accidentel sur le lieu de travail, le salarié ne bénéficiait pas de la présomption légale d’imputabilité.
En outre, lors de l’accident, à savoir la chute du poteau, le salarié ne se trouvait pas sous l’autorité de son employeur, dès lors qu’il ne relevait pas de sa mission inhérente au contrat de travail d’identifier l’origine de la panne informatique.
Pour la cour d’appel, le caractère professionnel de l’accident n’est donc pas établi, et elle ne pouvait donc que rejeter sa demande de prise en charge au titre de la législation professionnelle.
Dans la deuxième affaire, jugée par la cour d’appel d’Amiens, une salariée ayant fini de télétravailler à 16 h 01, conformément à ses horaires de travail, disait avoir chuté à 16 h 02 alors qu’elle remontait les escaliers de son sous-sol aménagé en bureau dans le cadre du télétravail.
Ensuite, après avoir rappelé les dispositions de l’article L. 1222-9, III du Code du travail, elle considère qu’il se déduit de la déclaration d’accident du travail établie par l’employeur dès le lendemain de l’accident et du certificat médical initial de la salariée que sa chute accidentelle avait eu lieu à 16 h 02 alors qu’elle avait terminé sa journée de travail, puisqu’elle avait effectué son pointage de fin de journée à 16 h 01 et n’était plus sous la subordination de son employeur.
Dès lors, l’accident s’étant produit en dehors de son activité professionnelle, la présomption d’imputabilité de l’accident au travail prévue à l’article L 1222-9, III du Code du travail ne pouvait pas s’appliquer.
A défaut d’une telle présomption, il appartenait donc à la victime d’apporter la preuve que l’accident était survenu par le fait du travail. Or celle-ci ne pouvait pas résulter des seules déclarations de la salariée qui affirmait avoir chuté dans l’escalier à 16 h 02 après avoir quitté son poste en télétravail étant donné qu’il était justifié uniquement de l’information de l’employeur à 17 h 33 et de l’hospitalisation à 17 h 50.
Dans ces conditions, la cour d’appel considère que la jurisprudence relative à la conception extensive du temps de travail lorsqu’il n’y a pas de doute sur le lien étroit entre le fait accidentel et le travail n’est pas transposable.
Par conséquent, la salariée n’ayant pas réussi à démontrer que son accident était survenu par le fait du travail, elle ne pouvait que rejeter sa demande de prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle.